Digging for memories [ft. Arya]

Longtemps, la mort n’avait été pour elle qu’un concept très abstrait. Comme la plupart des gens, elle avait vu au cours de sa vie de vagues connaissances s’éteindre. Ceux que l’on avait connus, même brièvement, d’un coup n’étaient plus. La mort était synonyme d’une absence perpétuelle, mais le reste demeurait confus : où allaient-ils? Que leur arrivait-il? Existait-il un au-delà, un paradis, un enfer, ou bien cessaient-ils tout simplement d’exister, comme une flamme qui s’éteint? La réponse à ces questions lui avait semblé inaccessible, du moins, jusqu’à sa propre mort. Elle avait découvert que l’absence n’en était pas vraiment une : elle était toujours là, et pourtant, personne ne pouvait la voir, ni lui parler, ou même la toucher. C’était comme si elle s’était retrouvée face à du vide, seule, dans cette maison qui avait été témoin de son bonheur, mais qui à présent lui faisait presque froid dans le dos. Sociable de son vivant, elle s’était retrouvée soudainement totalement seule, une solitude écrasante, une véritable malédiction. Elle n’avait rien fait pour que tout cela arrive. Non, ce n’était pas prévu, les choses ne devaient pas se passer ainsi. A l’heure qu’il est, elle aurait dû être mariée depuis de longues semaines avec celui qu’elle considérait comme l’homme de sa vie. Mais il était parti désormais, si bien qu’il lui semblait n’avoir plus personne sur qui se reposer. Elle avait bien connu quelques locataires, dans la maison, mais aucun n’était resté bien longtemps. Ils finissaient tous par sentir que cette maison n’était pas ordinaire, puis par avoir peur et s’en aller.

Longtemps elle s’était demandée ce qui allait lui arriver. Etait-elle donc condamnée à demeurer ainsi, à errer seule pour l’éternité, sans jamais pouvoir échanger ne serait-ce qu’un regard ou un mot avec un autre être? Elle s’était souvent demandée s’il y en avait d’autres, comme elle, mais n’était jamais allée le vérifier. Elle n’osait pas vraiment sortir, et puis, où aurait-elle bien pu chercher? Elle avait déjà essayé du côté du cimetière, mais sans grand succès. Il n’existait malheureusement aucun mode d’emploi destiné aux morts, elle devait donc se débrouiller seule, et tenter de découvrir en quoi consistait son nouvel état. Au cours de ses quelques sorties hors de la maison, elle put percevoir qu’un tout autre monde vivait à Sunnydale, un monde bien terrifiant et dont elle n’avait pas eu conscience jusque là. Aussi, elle préférait amplement faire preuve de prudence et demeurer le plus possible confinée chez elle.

Cet état d’isolement eut heureusement une fin, en la personne d’Arya Mallon. Arya n’était pas pour Coraline une simple connaissance, non. Elle était l’amie par excellence, celle qu’elle avait considérée comme une véritable soeur lorsqu’elles étaient enfants, avec qui elle avait partagé le moindre de ses secrets, ses inquiétudes, ses espoirs et ses rêves. La quitter pour partir à New York avait été un véritable déchirement, et aujourd’hui elle s’en voulait de ne pas avoir passé suffisamment de temps en sa compagnie à son retour, lorsqu’elle le pouvait encore. Encore une chose à ajouter à sa liste de regrets, déjà bien longue. Et pourtant, lorsqu’elle avait de nouveau croisé sa route, Arya l’avait bel et bien vue. Non seulement elle l’avait vue, mais elle pouvait en plus la toucher, lui parler, comme si elle avait été un être fait de chair et d’os. Au début, elle n’y avait pas cru : comment une telle chose était-elle possible? La jeune femme était exactement comme les autres. Elle la connaissait depuis l’enfance et s’il y avait eu quelque chose d’anormal ou de particulier chez elle, elle l’aurait su. N’est-ce pas? Son amie lui avait suggéré qu’une telle chose pouvait s’expliquer par le lien qui les unissait. Si au début elle avait trouvé cela tiré par les cheveux, elle s’était peu à peu faite à cette idée. Après tout, pourquoi pas? De toutes les personnes qu’elle avait rencontrées au cours de sa vie, Arya était celle dont elle s’était sentie la plus proche, au point que les années de séparation ne semblaient avoir en rien altéré leur amitié. Elle ne pouvait s’empêcher de regretter qu’il n’en soit pas de même pour son fiancé. Mais celui-ci était parti à présent, et elle n’avait aucune chance de savoir ce qu’il en était réellement. Quoi qu’il en soit, Coraline ne s’était plus sentie si heureuse depuis bien longtemps : avoir quelqu’un à qui parler, avec qui passer du temps, et surtout, que ce quelqu’un soit Arya, était plus qu’elle n’aurait pu l’espérer. Désormais, le fait d’être morte, privée de toute existence réelle et séparée de ses proches lui paraissaient un peu plus supportable puisqu’elle avait une personne à laquelle elle pourrait se confier. Elle ne pouvait nier que la jolie brune lui avait semblé différente, mais c’était normal, n’est-ce pas? Après tout, les années avaient passé et elle avait sans doute vécu de nombreux événements dont elles n’avaient pas encore eu le loisir de parler. La revenante avait hâte de la revoir et de pouvoir ainsi rattraper le temps perdu.

Elle lui avait donné rendez-vous dans le grand parc de la ville, sous le chêne qui avait été leur arbre préféré autrefois. Pourquoi un tel endroit? Tout simplement parce que près de ce chêne, elles avaient enterré étant enfants une boîte remplie de leurs trésors. Au cours des années passées loin d’Arya, Coraline avait souvent repensé à cet objet, se promettant qu’un jour elle irait le déterrer. Elle n’était peut-être plus en vie, mais à présence qu’elle en avait l’occasion, elle comptait bien ne pas la laisser passer. Elle avait choisi de l’y retrouver en pleine nuit, tout simplement pour pouvoir creuser en toute tranquillité. De plus, les passants auraient sans doute été surpris de voir une pelle de mouvoir seule dans l’espace. La revenante n’avait nullement besoin de dormir et attendit patiemment qu’il fut onze heures pour prendre les deux pelles dénichées dans son garage et se téléporter jusqu’au parc. Elle atterrit à quelques mètres de l’endroit désiré et manqua de tomber, déséquilibrée par le fardeau qu’elle transportait. Elle maîtrisait ce don de mieux en mieux, mais il lui faudrait encore faire quelques progrès. Marchant cette fois-ci, elle s’aventura dans le parc et ne tarda pas à rejoindre l’arbre qui était très reconnaissable, même de loin. En attendant l’arrivée de son amie, elle tenta de se remémorer l’endroit exact où les deux fillettes qu’elles étaient à l’époque avaient enterré ce fabuleux trésor. Il lui sembla le repérer, quand soudain elle entendit des bruits de pas au loin. Elle aperçut une silhouette féminine et fit de grands gestes afin d’attirer son attention. « Arya ! Je suis là, viens par ici. » Elle ne craignait nullement de crier, après tout, à l’exception de la jolie brune, nul ne pouvait l’entendre. Enfin la jeune femme arriva à sa hauteur et elle lui tendit l’une des deux pelles, sans chercher à dissimuler son excitation. « J’espère qu’on va la retrouver, il me tarde de redécouvrir ce que nous avions mis à l’intérieur. » Bien sûr, après tant d’années, elle ne parvenait plus à se souvenir de chaque objet qu’elles avaient pu enfouir, mais ne doutait pas que dès l’instant où elle les reverrait, de multiples souvenirs remontraient à la surface. Hésitante, elle indiqua à son amie un endroit entre deux racines, qui lui semblait correspondre. « Il me semble que nous l’avions enterrée ici, mais je t’avoue que je n’en suis plus très sûre. Tu dois t’en rappeler, tu as toujours eu une meilleure mémoire. »