Une soirée qui aurait dû être tranquille PV Sven

« the magic of the lights ... »

Sven poussa un léger soupir, les mains enfouies dans ses poches. Son souffle se perdit dans la nuit noire et épaisse, tandis qu’il continuait de marcher, les pensées chargées, les yeux fixant le sol bitumé qui défilait sous ses pieds. Notre suédois était dans une mauvaise soirée. Vraiment. Pourtant, rien ne changeait foncièrement d’ordinaire. Simplement, il n’avait pas passé la meilleure journée qu’il puisse être, et ça l’avait légèrement contrarié. Comme tout le monde, d’ailleurs. Au moins une fois dans sa vie, si ce n’est des centaines, il nous arrive de passer une journée épuisante, avec bien plus de points négatifs que de points positifs. Et arrivé à la fin de cette journée, on est exténué. On a envie d’aller se coucher, de se foutre sous ses couvertures, seul, et de réfléchir, avant de sombrer dans les bras de Morphée. Et bien Sven était dans un jour comme cela. Pourtant, il n’avait pas forcément passé la journée de merde clichée, où tout allait de travers. Simplement… De petites choses contrariantes, de-ci de-là. Et ça suffisait pour vous pourrir le moral, et inciter la fatigue à s’abattre violemment sur vos épaules. Et voilà. Sven était crevé. Il n’avait qu’une envie, dormir. Mais avant ça, il aurait voulu réfléchir un peu. Se poser dans un coin calme. Et il avait bien une idée pour ça. Peut-être qu’avec un peu de chance, il n’allait pas être le seul à avoir eu cette idée…

Le jeune homme sortit son portable ancestral de sa poche. Il composa un message, l’envoya. À son petit bonhomme. Pour lui dire qu’il l’aimait. Et qu’il pensait à lui. Encore. Comme toujours. Et sans se lasser. Doucement, le suédois se détendit. Le simple fait de penser à Nolan, et de lui dire qu’il l’aimait, fut-ce par l’intermédiaire d’un message électronique, lui faisait le plus grand bien. Il se sentait plus léger. Moins irrité. Peut-être qu’il allait réussir à ne pas passer une trop mauvaise nuit, en fin de compte. Car malheureusement, c’était le risque des mauvaises journées qui vous cassaient en deux ; dans le cas de Sven, il dormait incroyablement mal à la suite de ça. Et c’était sûrement pour cette raison qu’il s’isolait tranquillement dans le parc avant d’aller essayer de fermer l’œil. Parfois, la fatigue vous empêche de dormir, ou de bien dormir. Et bien il était un parfait sujet d’expérience sur tout cela.

Rangeant son portable dans sa poche, le jeune homme repensa à son après-midi. Ç’avait tout d’abord si bien commencé … Il était allé au gymnase, histoire de s’entraîner un peu, de se défouler. Et il avait vu une petite annonce, pour une recherche d’entraîneur. Au moment où il s’était approché, plein d’espoir de pouvoir enfin se débarrasser de son métier traumatisant pour faire quelque chose de plus normal et naturel, un type l’avait bousculé. Sven avait failli lui demander de s’excuser, avant de se rendre compte que l’autre collait un papier sur l’annonce pour dire que le poste était pris. Fin du bel après-midi qui aurait pu se passer tranquillement. Après cela, il avait été frustré, énervé. Il s’était déchaîné sur le sac. Il n’avait essuyé aucune remarque de la part des responsables du gymnase. Sven était un habitué. Et il était toujours d’une grande aide. Surtout lorsqu’il s’agissait de mettre face à lui des types désirant faire de la compétition à haut niveau. Juste histoire de les tester. L’ancien militaire avait toujours refusé de participer à la moindre compétition. Les combats qu’il faisait de temps à autre dans des rings amateurs ne regardaient que lui. Il n’avait aucunement besoin d’un entraîneur ou de quoique ce soit d’autre pour l’aiguiller. Il n’avait besoin de personne. Un véritable ours. Toujours est-il que quand on n’avait plus personne pour servir de putching-ball à ces gars qui se croyaient invincibles et prêts pour les compétitions internationales, on soupirait longuement, avant de demander à Sven de monter sur le ring. Oh, il n’était pas le plus fort, et de loin. Il y avait bon nombre de types sur cette planète qui étaient infiniment plus forts que Sven. Mais dans ce gymnase, il restait l’invaincu. Et s’en foutait royalement. Ce n’était pas une compétition ; en aucun cas. Il ne s’en vantait pas, et ne l’avait d’ailleurs même pas remarqué. Il se contentait de frapper les jeunes coqs quand on lui demandait de les remettre à leur place. Histoire de leur montrer que Sunnydale n’est qu’une infime partie du monde, un grain de sable dans le désert. Et que déjà, dans ce grain de sable, y a au moins une personne capable de leur foutre une raclée. Alors inutile d’espérer aller plus loin trop vite, et si facilement. Ça, c’était le but des entraîneurs, lorsqu’ils faisaient monter le suédois sur le ring. Lui, il voyait simplement le moyen d’empocher un billet en guise de pourboire une fois que l’autre était K.O. Gagner de l’argent sans tuer. Voilà la seule chose qui comptait aujourd’hui aux yeux de Sven.

Lorsqu’il était sorti du gymnase, quelques heures plus tard, il avait également eu une bien mauvaise surprise. On l’avait appelé sur son portable. Et c’était un numéro inconnu. Il avait rappelé, on lui avait donné rendez-vous. Ça puait le contrat à plein nez. Et pourtant, il y était allé. Parce que sinon, son loyer à la fin du mois ne serait pas payé. Et il se retrouverait à la porte. Sans oser demander à Nolan d’aller dormir chez lui. Il ne voulait pas se servir de son petit bonhomme comme d’une bouée de sauvetage. Pour rien au monde. Il l’aimait. Réellement. Et voulait lui prouver qu’il n’était pas un bon à rien. Qu’il était capable de vivre de ses propres moyens. Même si pour le moment ça voulait dire tuer des gens. Et voilà. Sven finissait la journée avec un nouveau contrat en poche. Et pour dire les choses très franchement, ça lui donnait envie de pleurer plus qu’autre chose. Il allait encore prendre une vie en échange d’une liasse de billets. Une vie humaine. Lorsqu’il s’agissait de défendre ses propres intérêts, ou sa propre vie, il n’avait quasiment aucun scrupule à tuer. Mais le problème de tuer sur contrat, c’était les motivations. Pourquoi tuait-il ? Parce qu’on le payait pour ça. Parce qu’un type qui avait de véritables motivations payait un gars comme lui pour faire le sale boulot. L’argent, l’argent. Toujours l’argent. Sven allait devenir fou s’il n’arrêtait pas. La dernière fois, il avait failli être obligé de descendre une gamine de cinq ans pour « finir le boulot ». Il n’avait pas eu à le faire, fort heureusement. Mais il devenait lentement mais sûrement traumatisé. Une pauvre bestiole perdue et souffrante. C’était le point auquel il était arrivé.

Une silhouette se dessina au loin, allongée sur l’herbe, les bras derrière la tête. Il avait fouillé à la recherche d’un coin le plus possible éloigné de la civilisation. Et il la trouvait là, allongée. Regardant les étoiles. Un fin sourire se dessina sur les lèvres du suédois, tandis qu’il avançait à pas feutrés vers elle. Un humain ne l’aurait pas entendu. Mais une créature surnaturelle, si. Et depuis le début, Sven avait deviné que Crystal n’avait plus d’humain que l’apparence, le passé, et le cœur. L’âme et l’essence même de sa vie étaient toutes autres, désormais. Mais il n’en parlait pas. Il s’en fichait. Tant qu’elle n’essayait pas de lui sauter à la gorge pour le vider de son sang, il ne verrait pas le problème de passer du temps en sa compagnie. Doucement, il sortit ses mains des poches de son jean foncé, rajustant son sweat noir à capuche. Il avait mis un bonnet, noir également, histoire de se préserver du froid, et de se tenir un peu plus chaud. Car comme à son habitude, rien d’autre que sa chaire et ses muscles sous son pull. L’ancien militaire se laissa tout doucement tomber à côté d’elle, s’asseyant dans l’herbe fraîche et humide. Il garda ses jambes pliées devant lui, tout en fouillant dans une poche de son pantalon pour en sortir une cigarette. Ça faisait longtemps. Et il en avait envie. Ça lui ferait le plus grand bien. En tirant une du paquet pour la glisser entre ses lèvres, le jeune homme partit à la recherche de son briquet. Ce fut le moment qu’il choisit pour lâcher quelques mots à l’intention de la vampire.

« Je suis sûr qu’il le sait. » Pourquoi il ? Sven n’avait aucune idée de qui la belle pouvait bien parler. Mais il avait le pressentiment que c’était un être masculin. « J’ai toujours été persuadé que les morts pouvaient nous entendre de là où ils étaient. » Il sortit son briquet de sa poche. Celui-ci s’était accroché dans le tissu de sa mitaine noire. Il sourit, utilisant son autre main également gantée pour attraper le petit objet. Il alluma doucement sa cigarette, tirant une légère bouffée, avant de laisser la fumée s’échapper dans les airs. « Et s’il n’est pas mort, je te conseille d’essayer la télépathie. Et si tu parles de moi, bien sûr que non tu ne m’as pas oublié, tu ne peux pas m’oublier. Je suis inoubliable. »

Ça aurait pu être drôle, dit de cette manière. Ça aurait également pu être purement vantard. Mais ce n’était rien de tout ça. Le ton de Sven était aussi doux et léger que pour sa première phrase. Il avait dit cela pour plaisanter ; mais la blague n’était pas destinée à faire mourir — une seconde fois ¬— de rire la jolie brune. Elle ne l’aurait même pas commentée qu’il n’en aurait pas été vexé. Il inspira une nouvelle bouffée de nicotine, la laissant s’échapper en élégants petits nuages. On aurait dit un cambrioleur qui parlait avec une des plus belles et farouches créatures de la ville. Mais là encore, il n’en avait cure.

« T’es là depuis longtemps ? »

Joignant le geste à la parole, il leva les yeux vers le ciel noir, clair et dégagé, parsemé d’étoiles scintillantes. Leur vue apaisait le jeune homme. Il se sentit encore un peu plus calme, ainsi installé aux côtés d’une personne qu’il appréciait, à regarder des astres que jamais il ne pourrait atteindre, mais qui lui permettaient de continuer de rêver à mesure que les nuits passaient. Sa mauvaise journée s’effaçait peu à peu, à mesure qu’il profitait de l’instant. Peut-être qu’il le tenait enfin, le point positif de sa journée. Et même si ce n’était pas le cas, ça ne l’empêchait pas de se sentir bien. Calme. Serein. Détendu. Comme si plus rien d’autre ne comptait que Crystal, et les étoiles, ainsi que leur magie dont ils partageaient le secret.

Doucement, Sven joignit ses mains devant lui, laissant sa cigarette se consumer un peu dans l’air frais de la nuit. Les bras posés sur ses genoux pour les maintenir en l’air, il gardait les yeux rivés vers le ciel, si somptueux et apaisant. Une chose était certaine. Quand il était petit, il voulait devenir astronaute. Et il ne se demandait plus pourquoi. La réponse était là, sous ses yeux. Magique. Scintillante. Se perdre dans les étoiles. Voilà ce dont il avait toujours rêvé. Et ce dont il rêvait encore.

« do you see the light ? »

Crystal était une des rares personnes à connaître ce que Sven ressentait à l'égard des étoiles. Il était souvent très silencieux à ce propos. Ce n'était pas comme s'il cachait sa passion, ni comme s'il avait honte. Simplement, il ne se trouvait jamais à en parler. Peu nombreux étaient ceux ou celles qui avaient déjà regardé le ciel à ses côtés. Bien entendu, il lui arrivait de s'asseoir la nuit quelque part, accompagné, et de lever les yeux vers le ciel. Mais pour lui, lever rapidement les yeux vers le ciel et le contempler en regardant les étoiles étaient deux choses radicalement différentes. Il ne faisait pas la même chose. Ne pensait pas à la même chose. Ne voyageait pas dans le même univers. Là, à cet instant précis, il commençait à réellement observer le ciel. À s'immerger dans sa magie. Il se détendait à mesure que passaient les secondes, tapotant sa cigarette pour en faire tomber les cendres. Il la porta à nouveau à ses lèvres, tirant sur le petit bâton de nicotine au milieu d'un silence. Bien vite, il regretta d'avoir répondu à ce qu'elle avait dit, et qui ne lui était même pas adressé. Cela ne le regardait pas. Alors pourquoi avait-il fallu qu'il fourre son nez dans ses affaires ? L'aider. Il avait juste voulu l'aider. Et maintenant, elle pleurait. Il baissa les yeux vers elle, après avoir laissé la fumée s'échapper d'entre ses lèvres. Il arqua doucement ses sourcils d'un air soucieux, triste, désolé. Il avait eu beau essayer de plaisanter, ça n'avait servi à rien. Elle avait l'impression d'être là depuis une éternité. L'effet de la tristesse, certainement. Et des étoiles. Il savait bien à quel point on pouvait se perdre dans la voûte céleste. Y faire pénétrer son âme, sortir du temps. On avait alors l'impression d'y rester immergé durant des heures, des jours, des années. Alors qu'au final, il ne s'agissait que d'une poignée de minutes. Mais il avait l'intuition que dans le cas de son amie, c'était la tristesse liée à la perte de cet être qui rendait sa conception du temps totalement fausse. Il reporta son attention sur le ciel, levant légèrement les yeux sans pour autant basculer entièrement la tête en arrière. Il se sentait mal. Il l'avait faite pleurer. Sa journée était définitivement pourrie. Il serra les dents, laissant ce petit silence planer entre eux. Elle lui posa quelques questions, auxquelles il ne répondit pas immédiatement. On aurait pu croire qu'il ne l'avait pas entendue. Mais il l'avait parfaitement entendue. Simplement, il n'arrivait pas à chasser la vision des larmes sur ses jours. Et lui qui ne se préoccupait que de sa journée pourrie... Il avait eu tendance à oublier que d'autres avaient une vie bien plus difficile que la sienne. Qu'eux avaient perdu des êtres chers. Et qu'ils souffraient le martyr. Sven baissa les yeux vers ses pieds, soufflant une nouvelle bouffée de tabac de la cigarette qu'il avait reporté à ses lèvres. Lui aussi avait perdu des êtres chers. Il avait réellement eu une vie de merde. Mais il partait du principe que les soucis des autres étaient toujours plus importants que les siens. Qu'ils avaient vécu bien pire. En réalité, chacun avait des problèmes et des événements marquants dans sa vie. Et chacun leur accordait une valeur de gravité à une certaine échelle. Tout dépendait de la personne. Il avait perdu tout ce qu'il chérissait, avant d'arriver à Sunnydale. Et on avait l'impression qu'il n'y accordait presque pas d'importance. Bien sûr, ce n'était pas le cas. Quiconque aurait mentionné ses proches se serait rendu compte à quel point cela le touchait. Quiconque les aurait insultés se serait réveillé à l'hôpital, preuve du point auquel ça affectait notre suédois. Simplement, il avait choisi le principe de vivre avec. L'idée d'essayer d'oublier le répugnait tout simplement. Jamais il n'oublierait ce qu'il avait vécu. Jamais il n'oublierait son père. Ni sa mère. Son frère était encore vivant, bien que dans le coma, mais il ne risquait pas de l'oublier non plus. Ni même ses compagnons d'armes tombés au combat à ses côtés. Il n'oubliait personne. Jamais il ne pourrait oublier personne. Parce que la vie passe ainsi, avec son lot de malheur et de pertes, plus ou moins important en fonction des individus. Certains avaient plus de chance que d'autres. Mais au final, on perdait tous quelqu'un au moins une fois dans notre vie. Une perte qui nous affecterait plus que les autres. Les gens pensaient qu'essayer d'oublier leur ferait du bien, les soulagerait. Ce genre de pensées donnait purement et simplement envie de vomir à l'ancien militaire. Ces gens ne comprenaient rien. Ils prétendaient essayer d'oublier, alors qu'ils allaient voir les tombes des défunts précisément pour se souvenir. Ils ne regardaient pas dans la bonne direction. Il ne fallait pas oublier. Il fallait apprendre à vivre avec. S'adapter à cette perte. Changer pour l'encaisser. Lui trouver une place dans notre cœur, et continuer d'avancer en la portant. Mais oublier, ça, jamais.

Crystal avait tout de celle qui désirait oublier, mais qui venait pour se souvenir. Et cela faisait de la peine à Sven. Il reprit une bouffée de sa cigarette, avant de frotter son mégot contre sa chaussure pour en éliminer la moindre cendre. Puis il le fourra dans une petite poche sur le côté de son jean. Il n'allait certainement pas l'abandonner dans le parc. Non. Il le jèterait en rentrant. Respect des autres et de l'environnement oblige.

« J'avais besoin de me vider la tête avant d'aller dormir. Et tu sais à quel point les étoiles sont un moyen efficace pour ce faire. » Il se tut quelques instants, serrant les dents, les yeux toujours rivés vers le sol. Il ferma quelques instants des paupières, avant de se retourner vers elle. Il se baissa vers son visage, posant son coude au sol afin de se retenir, et de ne pas lui tomber dessus. Ses lèvres se posèrent sur son front, y apposant un baiser doux, amical et rassurant. Il releva doucement la tête, plantant son regard dans le sien avec un petit sourire triste mais compatissant. « Je ne veux pas que tu pleures. »

Le problème de Sven en présence des étoiles et de quelqu'un qu'il adorait, c'était qu'il avait tendance à devenir le prototype du gros nounours en peluche. Tout mou, tout doux, agréable à câliner. Le nounours qui épanchait vos pleurs sans rien dire. Et même s'il ne vous répondait pas, sa présence vous aidait. C'était comme serrer fort un doudou, lui parler, le tremper de vos larmes. C'était une présence apaisante, en fin de compte. Et Sven était encore mieux qu'un doudou ours en peluche grandeur nature. Parce qu'il pouvait rendre les câlins, s'il en avait envie. Et répondre. Vous rassurer. Encore plus efficacement que s'il avait été dénué de parole. Le suédois se coucha aux côtés de Crystal, laissant ses jambes légèrement repliées, genoux vers le ciel, les pieds bien ancrés sur la pelouse. Il passa un bras autour des épaules de son amie, pliant le deuxième pour le caler sous sa tête en guise d'oreiller, bien qu'assez inconfortable. D'accord, il ne la connaissait pas depuis longtemps. Mais ce n'était pas une raison pour jouer les gros grizzlis mal-aimables et snober son chagrin en lui racontant sa vie. Non. Il allait rester avec elle, et la soutenir pour ce soir. Il avait beau être exténué, il savait qu'il n'arriverait pas à s'endormir tout de suite. Alors autant en profiter et servir à quelqu'un.

« Tu n'as pas à t'excuser. Ça arrive à tout le monde de repenser à des souvenirs qui nous abattent, ou d'en rêver, de se réveiller en sursaut et en larmes. C'est comme ça. » Il retira son bras, ne souhaitant pas l'importuner avec son contact. Il le mit dans la même position que l'autre, non sans avoir rabattu sa capuche par-dessus son bonnet, renforçant son oreiller improvisé, calant des deux bras sous la double épaisseur nouvellement créée. Il vrilla ses yeux vers le ciel, se laissant porter par les étoiles qui y scintillaient. « Ça ne sert à rien d'essayer d'oublier. » murmura-t-il doucement.

Il avait baissé d'un ton. Mais il était sûr qu'elle l'entendait toujours. Quelques instants, il laissa son regard se voiler, se perdre au milieu des astres. Il avait l'impression de nager en plein milieu du ciel. Le monde tournait autour de lui, dangereusement instable et vertigineux. La vision de la voûte céleste lui faisait perdre pied. Lorsqu'il eut l'impression de se mettre à tanguer, il cligna doucement des yeux, secouant très légèrement la tête pour essayer de balayer cette sensation qui n'avait rien d'agréable. Il voulait bien nager. Mais s'il avait l'impression de se retrouver sur un bateau, il allait avoir la nausée. Très peu pour lui. 

« Il y en a qui disent que les morts montent au ciel. Je ne sais pas si c'est vrai. Mais en tout cas, si ça l'est, ils doivent être bien là-haut. À nager au milieu des étoiles. » Il marqua une petite pause. Il ne savait plus vraiment où il allait, là. Il se perdait. Mais bon. Autant continuer. « Je ne sais pas s'il peut t'entendre. Je l'espère simplement. »

Il passa sa langue sur ses lèvres, les humectant légèrement. Décidant de changer de sujet, il laissa un sourire pâle de poser sur ses lèvres, tandis qu'il sortait une nouvelle cigarette de son paquet pour la glisser entre ses lèvres. « Tiens, regarde. » Il l'alluma rapidement, avant d'inspirer une grande bouffée de nicotine. Puis il expira tout doucement, d'une manière bien précise. Un petit cercle de fumée s'éleva dans les airs. Puis un second. Un troisième. Et un tout petit, quatrième. Il lâcha ce qu'il lui restait de fumée dans la bouche, laissant échapper un très léger rire. Il se sentait un peu bête à faire ça. Mais lui, ça le soulageait. Et ça le faisait rire. Il avait appris à faire tout un tas de choses avec la fumée. Les cigarettes ne se prêtaient pas toujours bien à ce jeu, sauf si on savait les choisir. Et Sven savait. Faire des formes avec la fumée était peut-être une des seules choses artistiques qu'il sache réellement bien faire. Les cercles étaient un jeu d'enfant pour lui. Il aimait ça. Il avait appris seul. Mais ça ne l'empêchait pas d'être doué, et sacrément talentueux. Les gens disaient qu'avec un peu d'entraînement, il était facile d'obtenir ce résultat. Mais il pourrait les mettre au défi. Mine de rien, c'était comme toute forme d'art. On avait le truc, ou on ne l'avait pas. Et Sven l'avait.

Il tira une autre bouffée, plus longue, remplissant ses poumons. Et à nouveau, il laissa de petits cercles s'échapper, de plus en plus étroits. Les petits passaient dans les gros, produisant un étrange schéma, pourtant agréable pour l'oeil. Et amusant. Il sourit, tandis que le reste de la fumée s'échappait en petites volutes d'entre ses lèvres. Il aimait bien faire ça. Et il espérait qu'elle apprécierait le spectacle.

Les yeux du jeune homme se perdirent à nouveau dans les cieux. Progressivement, il oubliait sa sale journée. Et il fallait avouer que cela lui faisait le plus grand bien. Peut-être s'endormirait-il plus serein.