Nightcall • PV

“Nightcall”

« Darla ? Darla, tu m’entends ? » Elle remua subitement la tête. Il était là. Dressé sur sa chaise tel un paon. Droit, hautain, fier de ses attributs. De ses pores émanaient cette douce et nauséabonde odeur de testostérone, qui lui faisait friser le nez. Elle aurait pu arracher sa petite gueule d’ange en un revers de main. En extirper de ses orbites, les globes oculaires d’un bleu vif. Au lieu de cela, elle acquiesça d’un malheureux signe du menton. Retenant un grognement animal, qu’elle sentait brûler au fond de sa gorge. « Ces femmes, toujours distraites ! » Il s’habilla d’un sourire simplet, tandis qu’il recouvra de sa main grasse et légèrement humide la sienne. Cette fois, elle leva les yeux au ciel sans ménagement. Mais, déjà son interlocuteur tournait son visage pivoine, vers la scène. Là, une chanteuse semblait vouloir avaler le micro, tant elle ouvrait grand la bouche. Elle braillait de temps à autre quelques phrases dont le sens lui échappait. Alors, à nouveau elle se pencha vers celui qui, ne savait toujours pas où se situait son regard, pour venir lui susurrer quelques mots à l’oreille. Quelques mots qu’eux seuls entendraient parmi toute cette cohue : « Baise-moi, maintenant. » L’information fut l’effet d’une bombe, car aussi sec le jeune homme bafouilla entre ses lèvres maladroites. Il agita son corps devenu raide, sans qu’en découle une signification précise, puis ingurgita d’une traite la fin de son whisky. « Tu peux répéter ? » Darla se laissa avachir dans le fond du fauteuil. Elle leva vers lui une grimace condescendante, et haussa nonchalamment les épaules. « Ce n’est pas ce que tu veux ? » Il fronça les sourcils, craintif sûrement de déblatérer une bêtise au moins aussi conséquente que lui, qui la ferait fuir. « Euh… je… » Ne lui laissant pas le temps, ni la peine de s’enfoncer davantage, elle balaya de sa main l’air, chassant ainsi les excuses qu’il se préparait à débiter. « Allons-y ! »

Elle ne prit pas le soin d’attendre sa réponse. Déjà, elle se levait, entraînant à sa suite le jeune homme qui ne savait où donner de la tête. Seulement, un hurlement traversa la salle. Soudain. Strident. Il imposa un silence, où l’existence elle-même sembla cesser. Mais, très vite la petite fourmilière s’affola. Darla inclina légèrement la tête. L’effluve alléchante de l’hémoglobine chatouillait délicieusement ses narines. Elle embrumait avec enchantement son esprit, si bien qu’elle en oublia presque la présence du jeune homme. « Viens. Viens, il faut partir. » Une pression autour de son poignet, la fit émerger de sa rêverie. Elle fit volte-face. « Ça n’aurait pas collé nous deux, finalement je crois. » Un sourire empreint d’ironie étira ses lèvres, alors qu’elle se frayait un chemin parmi la foule. Au loin, elle entendait les appels plaintifs de son prétendant. Écho éphémère, qu’elle occulta bien vite. Le spectacle qui se présenta sous ses yeux grands ouverts désormais, était bien plus intéressant…

Le corps s’était recroquevillé. Fœtus. Il tremblait encore, mais la vie s’évaporait lentement. Elle pouvait le sentir. Ce ‘boum… boum… boum…’, qui tirait de son chant funeste sa révérence. Il ne lui restait plus que quelques secondes. Quelques minutes tout au plus. Elle se fendit d’un rictus bienveillant, presque familier, tandis qu’elle effleurait du bout des doigts la chevelure éparse de cette pauvre femme. « On ne t’a jamais dit que c’était impolie de s’inviter quelque part par la force ? » A ces mots, Darla bifurqua quelque peu. Là, elle se retrouva face à une tête blonde qu’elle n’eut pas de mal à reconnaître. Un sourire prit vie sur son visage aussi pâle que le marbre, alors qu’un second pantin luttait en vain contre la poigne menaçante de son interlocutrice. Sa gorge suintait de ce liquide rougeâtre qu’elle aimait tant, mais elle ne s’en soucia guère. « Gwendolyn. » Elle marqua une pause, prenant un temps pour avaler la nouvelle, puis éclata d’un rire enfantin. « Je vois que tu n’as pas changé. »