« pride and prejudice. » Ϟ ANGEL.

« au bal masqué ohé ohé ♪ »

Élégante et gracieuse, Zippora grimpa les marches de l'escalier en marbre qui menait à la salle de danse. Elle tenait les innombrables jupons de sa robe, grimpant pourtant avec une aisance digne d'une reine. Elle déboucha dans la salle quelques minutes plus tard. Et quelle salle... Carrelée de pierres blanches qui résonnaient au rythme des pas de danses des convives, ses murs étaient recouverts de miroirs et de tableaux tous aussi beaux les uns que les autres, tandis que les lustres aux ornements de cristal donnaient à la pièce un air tout simplement impérial. Et c'était dans cette fameuse salle que se tenait le bal organisé par son très estimé Duc de Devenshire, bal auquel Zippora avait été invitée pour avoir soigné la petite sœur de la meilleure amie de la fille du Duc, lors d'une chute à cheval. Plutôt réussi, l'incruste, vous en dites quoi ? La seule consigne du bal : revêtir un masque. Le reste était libre, à la convenance des invités. Zippora avait donc opté pour une magnifique robe aux tons bleu indigo légèrement pastel et blanc. Son corset mettait plus qu'en évidence sa poitrine, comme se voulait la mode de l'époque, et le haut de la robe, cintré jusqu'à la taille, donnait l'impression qu'on aurait pu la brisée rien qu'à danser avec elle. Les jupons cascadaient le long de ses jambes pour les dissimulée habilement à la vue des trop curieux, tandis qu'une légère épaisseur de tissu les recouvrait, harmonisée par un motif floral élégant. D'ordinaire, les robes des dames paraissaient lourdes, terriblement lourdes ; on se demandait comment elles pouvaient parvenir à les porter sans tomber, malgré l'appui que leur mari ou cavalier leur offrait. Mais celle de Zippora n'offrait pas du tout cet effet. Elle semblait aussi légère et aérienne qu'elle était,  et malgré la place certaine que prenait cette robe, on avait plus l'impression qu'elle allait s'envoler si on la faisait tournoyer sur la piste de danse qu'autre chose. Son cou supportait une parure de diamant, gracieuse et fragile, qui pourtant tout aussi légère que le reste de la robe. Les yeux de Zippora étaient rehaussés par un maquillage fin et agréable à l'oeil, bien que personne ne puisse le distinguer sous le loup noir qu'elle portait, un magnifique masque qui épousait à la perfection le haut de son visage, du nez jusqu'aux sourcils, recouvrant légèrement ses pommettes. Son ornement d'onyx, de perles noires et de plumes lui donnait un air tout droit sorti du carnaval de Venise. Sa couleur sombre aurait pu entrer en contradiction avec le ton de sa robe, néanmoins le tissu principal qui recouvrait le noir se teintait de reflets bleus à la lumière, aussi s'accordait-il parfaitement avec le reste de la tenue. Quant à ses longs cheveux noirs qui se répandaient habituellement dans son dos, elle les avait ce soir relevés en un chignon sublime aux multiples boucles, sans prendre la peine de mettre une perruque. C'était à la convenance des invités, non ? Et s'il y avait bien une chose que Zippora détestait déjà, à cette époque, c'était bien les perruques. Alors elle venait avec sa chevelure naturelle, n'avait absolument rien de honteux. Les regards se tournaient vers elle alors qu'elle commençait à fendre la foule de danseurs. À la recherche peut-être de quelque chose à manger, ou bien d'un cavalier pouvant la tirer de sa solitude. Pourquoi la regardait-on ? Était-elle laide ? Avait-elle un poireau sur le visage ? Pour sa beauté, son élégance et sa légèreté.

Néanmoins, quelque part, Zippora n'était pas rassurée. Et si quelqu'un dans cette fête l'avait reconnue ? Elle, la démone sanguinaire maudite qu'il valait mieux enfermer dans un sommeil lourd et sans rêves plutôt que de laisser vivre et respirer, avec une chance de se racheter. Le sort était cruel, et elle savait que si elle croisait une Tueuse ou qui que ce soit qui la reconnaissait, on s'en prendrait à elle. Néanmoins, avec ce déguisement humain, cette magnifique robe et ce masque, il y avait vraiment peu de risques pour qu'elle soit démasquée. Du moins c'était ce dont elle tentait de se rassurer. Une démone millénaire avait peur d'une foule d'aristocrates. À la bonne heure.

Alors qu'elle se mouvait dans la foule, évitant de rester trop en place de peur de gêner les gens, elle aperçut soudain une silhouette. Son regard s'arrêta dessus, tandis que l'homme se tournait dans sa direction. Elle croisa son regard foncé et profond, et malgré sa beauté exceptionnelle, elle ressentit directement le poison dont était composé cet homme. Zippora n'était pas une humaine faible et naïve. Elle était une hybride. Et elle était née bien avant cet avorton. Elle ne risquait pas de se faire berner par un vampire. Sous le masque de cet individu, elle distinguait sa beauté hors normes, que son élégance et sa classe reflétaient avec assurance. Zippora eut un léger sourire. Elle était une comédienne d'excellence. Son sourire était plus timide et gêné qu'autre chose, tandis qu'elle tentait de se faire inviter pour une danse. Ses doigts glissèrent le long de sa robe pour venir nerveusement triturer un morceau du tissu, repassant inlassablement sur le même motif. Elle avait l'air timide, gênée. Et invitant silencieusement cet homme à venir lui faire la court, pauvre créature seule et somptueuse qu'elle était. Cet homme était une créature. Et Zippora voulait savoir qui qu'il était, ce qu'il était, et ce qu'il venait faire à cette réception. Il semblait vouloir la remonter dans ses filets. Et habilement, mais de manière beaucoup plus subtile, timide et imperceptible, elle l'encourageait à venir le voir. À l'approcher.

Regarde-la, dans sa robe douce et légère, avec cette taille de guêpe et ses grands yeux bleus, ses magnifiques boucles en chignon dans lesquelles on avait envie de plonger la main, son masque fin et aérien posé sur ses traits. Regarde-la, savoure-la. Approche-la. Séduis-la. Après tout, qu'as-tu à perdre ?

« time to dance with the devil ... »

La légèreté de Zippora semblait l'avoir emporté sur l'ensemble des autres femmes de l'assemblée. L'homme la regardait désormais avec intérêt, s'approchant à pas feutrés, d'une allure de parfait gentleman. Et soudain, il disparut. Le sourire de Zippora s'élargit doucement, tandis qu'elle tentait désespérément de le conserver comme flatté et intéressé. En réalité, il était devenu, l'espace de quelques instants, purement sadique. Elle avait vu juste. De cet homme émanait une aura qui n'avait absolument rien d'humain. C'était un monstre. Et bien entendu, la salle n'était pas assez spacieuse pour que deux entités daignent de passer une soirée loin l'une de l'autre. Non. C'était tellement plus amusant de se coller, entre paranormaux. Néanmoins, Zippora était parfaite dans le rôle de l'humaine belle et fragile, séduisante mais loin d'être stupide. En plus de 3000 ans, elle avait appris à charmer les hommes, et s'y était même trouvé un certain talent. Elle se complaisait dans ce jeu. Et dans un sens, même si elle souhaitait un minimum empêcher cet homme de faire du mal autour de lui ce soir, elle ne pouvait s'empêcher de songer que s'il désirait lui procurer un instant de plaisir avant de tenter de la tuer, ce ne serait pas de refus. Cruelle. Manipulatrice. Calculatrice. Déterminée. Venimeuse. Zippora n'était rien de plus qu'une mante religieuse. Au sens propre du terme, dans le temps de l'Egypte Antique. Elle avait un nombre d'amants assez impressionnant, mais leur coupait la tête une fois leur présence avérée inutile et ennuyeuse. Elle avait arrêté ces coutumes barbares, mais était toujours aussi habile avec les hommes, leurs sentiments, et surtout leurs envies et leur désir. Une Veuve Noire.

Elle sentit le souffle d'un murmure glisser le long de son oreille, tandis que de légers petits cheveux en anglaises voletaient sous les paroles du jeune homme. Zippora continua d'arborer son sourire timide, et elle se força à sursauter légèrement lorsqu'elle le sentit parler au creux de son oreille, alors qu'il surgissait de nulle part. Jouer les humaines était si facile que ça en devenait presque un réflexe. Elle observa la coupe de champagne qu'il lui tendait, et la saisit doucement, du bout de ses doigts fins et délicats. Elle le laissa frôler doucement son bras, frissonnant à ce contact. Cet homme était doué pour le charme, il n'y avait pas à dire. Doucement, elle baissa la tête vers son verre plein, lui offrant sa nuque au regard, sur laquelle couraient quelques douces boucles noires. Un murmure s'échappa de ses lèvres tandis qu'elle s'exprimait à son tour, d'une voix plutôt basse au milieu de la musique et du brouhaha. Mais elle était persuadée que même si son chuchotis n'avait été qu'un souffle, il l'aurait entendu aussi distinctement que si elle lui avait parlé d'une voix distincte dans le creux de l'oreille.

« Peut-être était-ce qu'aucun gentleman ne m'a galamment proposé d'être mon cavalier pour cette soirée, et que je ne pouvais cependant refuser de m'y présenter ... » entonna-t-elle de sa voix douce, claire et chantante.

Très lentement, elle marqua une pause, portant la coupe de champagne à sa bouche pour y tremper le bout de ses lèvres légèrement rougies par le maquillage. Elle la rabaissa doucement, ayant déposé une légère marque sur le bord du verre, presque par hasard.

« Ou alors ... » Doucement, elle se retourna, relevant la tête vers le bel homme au masque qui lui faisait désormais face. Sa robe avait suivi son mouvement dans un léger froissement, tandis qu'elle se retrouvait désormais presque collée à son prétendant, ne laissant que quelques centimètres les séparer. « Peut-être était-ce que je n'ai de toute manière aucune envie de venir accompagnée à ce genre de soirées mondaines ... L'appel de l'inconnu me charme davantage si aucun homme ne m'accompagne, fusse-t-il doté de nobles intentions protectrices à mon égard. Ainsi, je puis espérer qu'une rencontre plus agréable s'offrira à moi ... »

Douce, elle baissa à nouveau légèrement les yeux vers son verre, rougissant légèrement, comme si elle avait avoué un certain péché mignon pour les rencontres éphémères lors des soirées comme celles-ci. Contrôler les relations physiques associées aux émotions humaines, comme par exemple le rougissement pour la gêne, était devenu une véritable deuxième nature pour Zippora, experte depuis toujours dans l'étude de ces comportements, et leur reproduction. Sa comédie de l'enfant moins pure qu'il n'y paraissait, mais gardant honteusement ce secret pour elle. Néanmoins, afin d'éviter de passer pour une traînée, Zippora crut bon d'ajouter quelques mots.

« Je suis patiente, et j'attends toujours. Jusqu'ici, je n'ai pas été candidate à la chance, mais il n'est pas dans mes coutumes de perdre espoir ... » ajouta-t-elle d'une voix timide.

Et voilà. Ou, comment dissimuler la jeune fille pleine de désir derrière celle qui ne rêve que de rencontrer le grand amour dans un bal comme celui-ci. D'après la légère partie de sa personnalité qu'avait laissé entrevoir le grand brun ténébreux, la jeune femme pensait que cela lui plairait. On ne pouvait décemment savoir si elle était encore vierge ou si elle avait déjà pensé trouver le grand amour dans l'un de ces bals. De même, la fragilité qu'elle avait simulée à la perfection, ainsi que la gêne et le souffle de timidité, se prêtaient facilement au caractère de la proie qui ferait semblant de trouver cela indécent, avant de se laisser entraîner, n'attendant en réalité que cela, protestant pour les simples apparences de l'étiquette. Zippora jouait son rôle à la perfection. Mais pire que cela ; il lui venait naturellement, comme une seconde peau. Elle s'y sentait bien, ce soir. La compagnie d'un être surnaturel semblable à elle, probablement.

Légèrement, Zippora recula d'un demi pas, faisant celle qui avait peur d'être trop provocatrice. Elle releva les yeux vers son prétendant, toujours son petit sourire timide accroché aux lèvres. Celui-ci s'élargit cependant alors qu'elle croisait le regard de l'homme, langoureux et hypnotisant, velouté et doux, séduisant et flatteur. Cruel, et avide de plaisir et de sang. Mais ça, elle devait bien être la seule de l'assemblée féminine de cette pièce à le remarquer. 

« Et vous ? demanda la demie démone en relevant timidement la tête vers lui. Pourquoi donc n'êtes-vous pas accompagné d'une superbe femme à l'intellect aussi divin que les courbes de son corps ? »

Doucement, elle abaissa encore un peu son verre, noyant son regard de proie timide dans celui du prédateur. Les prunelles de Zippora étaient précisément tout sauf un livre ouvert. Elle le regardait comme une jeune fille innocente et émerveillait, ne trahissant à aucun moment sa réelle curiosité envers cet être de la nuit. Elle était pleine d'espoir. Jeune et innocente. Sa taille d'une finesse extrême, qui soutenait ses jupons fins et aériens, oscillait très lentement au rythme de sa gêne. Elle coulait vers lui son regard doux et déjà charmé, attendant qu'il ne continuât son jeu de de charmant séducteur.

Le Jeu de l'Amour se déroulait en tous coins de cette pièce, à cet instant. C'était précisément le but caché de ces réceptions. Mais, au milieu de tous les couples, de tous les hommes secrètement mariés qui charmaient de douces et délicates jeunes filles innocentes, il ne faisait aucun doute sur une chose ; le couple formé par Zippora et son mystérieux gentleman était de tous le plus captivant, le plus élégant et le plus sensuel. Qui pourrait se douter que derrière ces beaux visages masqués du charmeur et de la charmée se cachaient deux prédateurs plus dangereux l'un que l'autre ? Personne, de toute évidence. Et c'était en quoi cette soirée allait s'avérer particulièrement intéressante.

« when an angel is hiding a demon ... »

Zippora était ... Parfaite. Tout autant que son cavalier. Les deux plus beaux êtres de cette grande pièce s'étaient trouvés, et se contemplait. L'un pensant que l'autre était une créature fragile et innocente, qui assouvirait facilement ses désirs et sa faim. L'autre sachant ce que pensait le premier. Et se délectant de jouer la comédie, comme le pire des monstres. Et vous l'aurez compris ; ce monstre, c'était Zippora. Pourtant, à la voir, jamais personne n'aurait soupçonné son jeu. Personne. Pas même le second prédateur qui se tenait juste en face d'elle, et qui s'approchait d'un pas pour la noyer sous ses belles paroles, laissant ses lèvres flotter à quelques centimètres à peine des siennes. Même si la tentation de s'en saisir était forte, la demie-démone résistait pourtant. Embrasser cet homme aurait signé la fin de la soirée ; son jeu aurait éclaté, et la petite jeune femme pure et innocente mais avide de trouver l'amour n'aurait jamais eu les moyens de refaire surface. Or elle tenait à tout prix à conserver cette image ; celle qui semblait attirer le vampire en face d'elle de manière si irrésistible. Elle avait envie de l'attirer hors de cette salle. Non seulement pour l'éloigner de toutes ces proies potentielles, mais aussi pour sa satisfaction personnelle. Jouer avec le cœur d'un être qui en est dépourvu... Quoi de plus délectable ?

Le compliment de l'être au cœur de pierre fit sourire Zippora, lui arrachant de jolies couleurs rosées sur ses pommettes, tandis qu'elle baissait les yeux vers le sol pour dissimuler une gêne qui aurait existé dans le coeur de l'humaine fragile et séduite. La perle rare. Comme c'était mignon. Comme c'était touchant. Mièvre et mielleux. Les paroles typiques du séducteur avéré qui savait parfaitement comment attirer les brebis dans la forêt et les dévorer une fois qu'elle y avait aventuré leurs pattes aussi blanches que neiges. Un jeu que Zippora maîtrisait peut-être encore mieux, le retournant contre son maître. Lorsque celui-ci lui proposa une danse, elle releva timidement son regard bleuté vers le masque de son futur cavalier, un léger sourire aux lèvres. Il témoignait de son intérêt pour les avances que faisaient l'homme, tout en apportant un mélange épicé et suave de gêne et de flatterie, mélange dont le diable vivant en face d'elle devait déguster. Chez une proie, c'était tout ce qu'on attendait. Qu'elle n'y voie que du feu. Et c'était pour cela que Zippora avait l'air de n'y voir que du feu. Elle cligna doucement des paupières, comme nageant en plein rêve, et laissa ses joues rougir encore davantage, tandis qu'elle posait des doigts fins dans la paume de l'homme avec légèreté et grâce. 

« Avec grand plaisir, milord ... » souffla-t-elle d'une petite voix.

Et soudain, elle décida de jouer une autre carte. Celle de la jeune femme dotée tout de même d'un trait de caractère non négligeable. D'une étincelle de pureté flamboyante, d'innocence attirante. Une touche de rébellion, une plume rouge orangée au milieu de toutes les autres immaculées. Avec douceur et malice, lui servant un sourire flatté et un regard pétillant, elle se laissa entraîner par le bain de foule, l'engageant ainsi dans la danse. Sans qu'il ne l'y ait tirée. Elle posa sa main sur son épaule, laissant les doigts de sa seconde main sur la paume de l'homme, le laissant mener la danse. Tous les couples qui s'annonçaient déjà plus qu'amicaux dans la soirée étaient collés l'un contre l'autre. Si le bel inconnu essayait de mettre sa main sur la taille de la démone, elle ne le repousserait pas. S'il tentait de la coller à lui, elle ne le repousserait pas. Elle se contentait de noyer son regard dans le sien, qui s'avérait réellement hypnotisant. Elle y cherchait une quelconque trace d'humanité, ayant déjà levé le voile sur sa véritable nature depuis longtemps. Mais elle ne trouvait rien. Cet homme était dépourvu de tout sentiment positif. Rien ne lui donnait plus envie que le sang. Absolument rien.

Mêlant ses prunelles remplies de candeur à celles de prédateur de son cavalier, Zippora continuait le jeu de la brebis pressée qui ne tenait qu'à rentrer dans la tanière du loup au plus vite. Sa robe ondulait autour d'elle, tandis qu'elle laissait quelques hommes ayant hérité de femmes dodues et nullement à leur goût la regarder tournoyer lentement en compagnie de ce bellâtre. Elle n'arrivait pas à se détacher de son regard. Elle avait l'impression au plus profond d'elle-même que même si elle ne risquait rien, se détacher de cet inconnu la mettait en danger. Elle n'arrivait pas à séparer ses yeux des siens. Et pourtant, il le fallait. Lentement, elle abaissa ses prunelles, rougissant de plus belle. Comme si elle allait sortir quelque chose qui la mettait mal à l'aide. Et ce fut le cas. Enfin, elle n'était pas  vraiment mal à l'aise, bien entendu. Mais c'était tellement bien imité ...

« Je me demande... Pourquoi le masque ? C'est vrai, n'a-t-on point le droit de pouvoir contempler le visage d'une personne de laquelle on se rapproche à chaque seconde ? » bafouilla-t-elle de sa voix fluette et cristalline de jeune fille pure aux grands yeux candides.

Elle voulait le voir. Le pousser à se dévoiler, à l'entraîner dans un coin où personne ne les verrait, dans un endroit où ils seraient seuls. Tous les deux. Rien que tous les deux. Appuyant ses dires d'une voix rêveuse et évasive, l'entité égyptienne releva un regard curieux vers son compagnon.

« Ou peut-être est-ce la fête qui veut cela, afin de dissimuler la jalousie et la convoitise qui pourraient s'emparer des cœurs à la vue d'un autre compagnon que le sien ... »

Elle se rapprocha doucement de lui, légère et frivole. L'impatience grandissait en elle, mais elle tachait de se contrôler, de rester la jeune fille timide et intelligente qui ne voulait que le grand amour pour la soirée. Mais le monstre qu'était Zippora n'était pas bien loin. Il se réveillait doucement, tapi au fond de son ventre. Et mine de rien, il se prêtait au jeu. Il l'appréciait. Le savourait. Cet homme appréciait peut-être la compagnie de la démone, mais elle ne pouvait s'empêcher d'apprécier le voir marcher dans son sens. Elle voulait aller plus loin. Voir jusqu'à quel point elle serait capable de maintenir cette identité qui n'était pas la sienne. Elle se poussait au vice en même temps qu'elle y invitait le vampire. Elle voyait plus grand. La faim croissait au creux de son être, prenant de l'ampleur à mesure que le temps passait. Mais cela n'exposerait pas. Tout resterait en ordre, et deviendrait même encore plus appréciable si le jeu continuait de grimper en intérêt.

Zippora n'était pas la brebis. Elle était le loup qui guettait cet homme. Celui qui n'avait du loup que le costume. Aucun d'eux n'était plus dangereux que l'autre. Ce qui donnait l'avantage à Zippora en cet instant précis était que son prédateur la croyait faible. Et ne se doutait pas que la poupée de porcelaine qu'il emmenait au rythme doux des violons était une compagne aussi morbide et cruelle qu'il ne pouvait l'être, malgré les apparences si alléchantes et attrayantes ...